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Lorsqu'il arrivas

Guy de Maupassant

Le Horla (1887)
Le Horla, P. Ollendorff, 1895 [trente-cinquième édition] (pp. 3-68).


8 mai. – Quelle journées admirable ! J'ai passés toute la matinée étendu sur 
l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et 
l’ombrage tout entière. J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes 
racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre 
où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on 
mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations 
des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même.

J’aimes ma maison où j’ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, 
le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grandes et large 
Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.

À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu 
des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la 
flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air 
bleu des belles matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain 
bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la brise m’apporte, tantôt plus 
fort et tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.

Comme il faisait bon ce matin !

Vers onze heure, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros 
comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila 
devant ma grille.

Après deux goëlettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, 
venait un superbe trois-mats brésilien, tout blanc, admirablement propre et 
luisant. Je le saluait, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à 
voir.

12 mai et quelques jours plus tard. – J’ai un peu de fièvre depuis quelques jour, et toi ; je me sens souffrant, 
ou plutôt je me sens triste.

D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre 
bonheur et notre confiances en détresse. On dirait que l’air, l’air invisible 
est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages 
mystérieux. Je m’éveille plein de gaîté, avec des envies de chanter dans la 
gorge. – Pourquoi ? – Je descend le long de l’eau ; et soudain, après une 
courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait chez 
moi. – Pourquoi ? – Es-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé 
mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du 
jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé 
ma pensée ? Sait-on ? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le 
regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons 
sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, 
sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre cœur lui-même, des effets 
rapides, surprenants et inexplicables ?

Vas en enfer.
Vas en enfer.